"Etre écrivain", Page 186

Publié le par Nathalie Heinichn,




" Ce sentiment d'une mission créatrice peut l'emporter sur la volonté du sujet, mû par une compulsion qui confine à l'aliénation. La vocation lui apparâit alors comme une fatalité à laquelle il n'a pas pu s'opposer : " C'est à partir de ce moment-là que je me suis senti saisi par la fatalité de l'écriture, que j'ai commencé à me sentir écrivain, à me sentir poussé par le besoin d'écrire sans aucune autre necessité qu'intérieure ", raconte un romancier.

Ce thème de l'absence de maîtrise ou de volonté est fréquent dans les témoignages relatifs à la prise de conscience d'une vocation :
" Ah non, je ne voulais pas ! [devenir écrivain] Non, je le suis devenue tardivement. Je ne savais pas que je le deviendrais, et de toutes façons, quand j'ai entrevu que je le deviendrais, je ne voulais pas ! " explique une romancière.
" Il me faut écrire, comme on accomplit une peine ", déclarait Pessoa avec son sens du tragique.
C'est que " l'homme voué n'a pas le choix " : " Dans la mesure où la vocation exprime la personnalité et accomplit le caractère, l'homme voué n'agit pas par l'effet d'un choix. Profondément, il n'a pas le choix. Sans se nier lui-même, il lui est impossible de se conduire autrement. Une nécessité à la fois naturelle et spirituelle le porte, celle qui pousse tout l'être à devenir ce qu'il peut être pour atteindre la perfection de son être. "

Attaché à sa vocation, par elle, il ne peut que s'y livrer exclusivement, comme à une passion, quitte à ce qu'elle soit aliénation de sa liberté, de sa volonté : " Un désir exclusif, une conduite exclusive referment le champ du virtuel, et la passion est un absolu qui colore tout mais qui n'embrasse pas tout. En ce cas, suivre une vocation, s'engager dans une direction, s'y obstiner, façonner sa vie dans ses termes, est-ce s'affirmer en se réalisant, ou se déformer en se mutilant ? S'identifier à sa vie, à son travail, à son oeuvre, est-ce s'accomplir ou s'aliéner ? "

" L'élan qui me singularise, remarque encore Judith Schlanger, est justement celui qui m'enferme ", car il n'y a pas d'autre choix, pour l'homme voué, que de se consacrer exclusivement à l'objet de sa vocation, dans un paradoxal mélange d'égotisme et d'abnégation : " Celui qui est plongé dans un travail disciplinaire sait qu'il y a autour de lui, au même moment, d'autres zones du savoir, parfaitement légitimes, où le travail est possible, fécond, intéressant, important ; et que d'autres s'occupent de ces autres entreprises. Il sait aussi qu'en se consacrant à la sienne il a renoncé à toutes les autres. Le prix à payer pour avoir prise sur quelque chose, c'est le renoncement au reste. "

" Renoncer à la vie, pour ne pas renoncer à soi-même ", résumait Pessoa.


Renoncement : ce thème familier à la culture chrétienne fait écho aux figures de la sainteté déjà présentes dans la vocation comme dans la mission.

De même que le héros se grandit par ses actes et l'artiste par ses oeuvres, le saint se grandit par ses souffrances et ses renoncements ; et quoi de plus grandiose alors - quoi de plus singulier aussi - que de réaliser une oeuvre en renonçant à tout le reste ?

C'est là le propre des artistes, et notamment des écrivains, dès lors que c'est le régime vocationnel qui organise leur activité, et le système de singularité qui définit leur système de valeurs. "


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L
En fait ,cela revient à pratiquer une sévère discipline ,digne du monachisme...il y faut véritablement de la passion - donc accepter d'en souffrir en y étant consacré...j'avoue que j'admire .
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