Eurêka

Publié le par chris StJames, BO Moulin Rouge

Tout à l'heure, je rentre à l'hôpital. Juste une nuit, pour une perf. Rien de dramatique ni de bien cassant, on va m'injecter un produit toxique qui va m'aider à marcher plus longtemps, un peu comme un cautère sur une jambe de bois. Si. Mais bon.
Ce soir, je vais retrouver les râles de souffrance, le voisin de lit bien attaqué par la maladie qui lui a déjà bouffé plein de neurones. Rarement le contraire, va savoir pourquoi mais je suis toujours le plus valide des deux. Peut-être histoire d'arrêter de me plaindre, de savoir ce que c'est, de trouver un chemin ?... Où manière de me montrer le futur qui m'attend, puisque j'ai la même maladie qu'eux... Entre tout ça je nage en plein tempête, pas le droit de me plaindre et le trouillomètre à zéro devant l'image de ce que je vais devenir, en toute certitude, c'est là devant moi, j'peux pas me tromper, s'ils... ne trouvent pas vite le médicament miracle qui enrayera cette saloperie qui me bouffe la moëlle épinière. Le plus marrant étant qu'elle vient de moi. C'est une maladie auto-immune secrétée par mon propre corps, et quelques facteurs externes dont ils ne sont pas sûrs du tout. C'est normal. Ils cherchent fort mais n'ont pas encore trouvé. Pas facile de comprendre comment ça marche. Et d'où c'est parti.
Je vais dormir à côté, passer la nuit avec, peut-être même veiller un malade chronique qui se paralyse et se ratatine. Je défie quiquonque de vivre cette expérience sans avoir les cheveux droits sur la tête, quand sans le faire exprès, tes yeux tombent sur la sonde qui l'aide à pisser, et qui t'est promise aussi si, si, si... C'est un drôle de cercle vicieux dans la tête, de la compassion à l'auto-projection, de l'envie d'aider très fort à celle de fuir à toute vitesse le plus loin possible d'un tel enfer, bien pire que la mort qui efface tout. Voir un si sombre destin est une terrible expérience. Que je vais refaire ce soir en Technicolor.
Et s'il n'y avait que les malades de mon étage, qui reniflent, toussent, crient et se perdent dans les couloirs par défaut de mémoire, qui doivent être poussés dans leurs petites chaises pour avoir l'occasion d'apercevoir le ciel autrement que rectangulaire avec des tas de taches partout. Font jamais les carreaux à l'hôpital. Je retrouverai aussi tous les enfants dans le pavillon spécialement exprès prévu et fait rien que pour eux, avec des couleurs joyeuses et des salles de jeux et des endroits pour voir le spectacle offert par un clow du feu de dieu. J'dis ça mais je ne suis jamais allé voir... C'est une épreuve si terrible que je n'ai pas encore trouvé le courage de pénétrer au coeur de leurs souffrances. J'suis sûr qu'ils ont plein de choses à nous apprendre sur la maladie... Et de courage à nous transmettre. Je me suis promis d'aller leur lire mes contes et de les associer pour que nous les réécrivions ensemble. C'est vrai, moi je parle de fées qui pleurent, mais s'il faut c'est une vision que de grande personne ! Peut-être qu'ils me diront que ça peut pas pleurer les fées, que c'est comme ça et que c'est pas la peine de mettre plein de mots pour dire une telle évidence. Un jour j'irai, un jour je leur lirai, un jour nous écrirons ensemble, un jour je les écouterai...
Mais ce soir j'y vais que pour moi. J'vais faire mon tout petit sac, regarder la télé, comme une dernière fois, éteindre le gaz, peut-être couper l'eau, on sait jamais, et y aller la tête basse et le coeur gros, p'têt même avec une larme en pénétrant dans le parking. Espérons qu'il me reste encore la force de prier très fort afin d'avoir ce soir encore le courage d'affronter leurs douleurs, d'oser les regarder tous au fond des yeux, sans pouvoir rien faire pour eux, que de me taire les bras ballants, de trouver j'sais pas où des mots qui sauront adoucir leur calvaire, de m'oublier. Comme ça, pour rien, sans penser à mes petits bobos, juste parce que  finalement, et je touche du bois, je vais mieux que la majorité d'entre eux.
Ainsi Einstein a toujours raison : tout est bien relatif en terre des hommes.

One day I'll fly away...
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S
Courage... Une pensée pour toi à cet instant .       
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