Miroir

Publié le par Monique Salzmann

La plupart du temps on en veut à l'autre d'être ce que l'on ne s'autorise pas à être.

" Comme illustration du niveau très banal où peuvent se consteller les opposés, je vais prendre l'exemple de Paulette, ma voisine du dessus qui m'exaspère parce qu'elle fait du bruit. Sa télévision m'empêche de m'endormir, elle n'a pas de tapis, se lève tôt ou carrément en pleine nuit et marche d'un pas lourd. Je lui ai, à plusieurs reprises, fait savoir combien cela me gênait. Je trouve que depuis elle fait encore plus de bruit. Mon agressivité à son égard ne fait que croître. Je suis prise entre l'impuissance à laquelle je me sens réduite et une forte envie d'aller lui casser la figure, ce que je ne peux évidemment pas faire. Une relation de type bourreau-victime est en train de se mettre en place. Du point de vue de la psychologie qui est alors la mienne, la position de victime me convient au fond assez bien, parce que, de nous deux, c'est moi qui suis dans la blancheur de la non-agression et qu'en plus je peux, en toute bonne conscience me plaindre. lui en vouloir, la juger, d'autant plus que, moi, je suis quelqu'un qui a toujours fait très attention à ne pas gêner mes voisins. Ma position consciente est imprenable. Je suis dans le bien, elle est dans le mal. Mais alors, pourquoi cela me met-il dans de tels états ? C'est, entre autres, parce que la position que j'occupe m'empêche tout acte agressif à son égard : cela m'obligerait à descendre du piédestal sur lequel elle m'a aidée à grimper. Il en résulte une très grande tension. Il suffit qu'elle éternue pour que j'entre en transe. Au fond, ce pour quoi je lui en veux le plus, c'est de ne pas penser à moi avant tout, avant elle-même. C'est de se vivre tranquillement libre de moi. Je lui en veux d'être ce que moi je ne m'autorise pas à être.

Les choses en étaient là lorsque je fis un rêve : " Je voyais de l'eau, beaucoup d'eau, provenant de son appartement, couler le long du mur de mon couloir. Au comble de la rage, je m'apprêtais à monter lui dire son fait, lorsque, tout d'abord, je me rendis compte que cette eau ne provoquait aucun dégât, aucune inondation, elle coulait tout simplement. Et puis, à ce moment, je la vis debout devant moi et je m'aperçus qu'elle était très enceinte, avec cette aura qu'ont souvent les femmes enceintes. J'étais stupéfaite et une curieuse tendresse s'empara de moi ". Ce rêve me fit une très forte impression.

Cependant, dans la réalité, la situation demeurait inchangée. Jusqu'au jour où, prise d'une impulsion irrésistible, je passais à l'attaque et fis en sorte qu'elle ne ferme pas l'œil de la nuit. Cet acte, pourtant volontaire en apparence, me fut insupportable. Je le vécus comme une déchéance. J'en avais honte. Mais le résultat fut miraculeux. Du jour au lendemain, ce fut le calme. Il me semblait même, car je dressais l'oreille, qu'elle marchait sur la pointe des pieds... Moi aussi je changeais. Je me surpris à claquer les portes, à me mouvoir sans les contraintes habituelles dont je pris donc conscience. Je mis enfin la musique fort, comme j'aime l'entendre. Mais surtout, car bien entendu le miracle ne dura pas, je ne prêtais plus attention, sauf quand cela devenait vraiment très intrusif, au bruit que faisait Paulette et j'arrivais bien mieux qu'auparavant à m'abstraire de ce qui me dérangeait.

Et puis, pendant tout ce temps, bien des épisodes oubliés de ma vie, de mon enfance, de ma relation à mes parents et des bruits qui me gênaient alors sont revenus s'associer, pour ainsi dire physiquement, à ce que je vivais là. La résolution du conflit affecta donc aussi tout le réseau défensif, physico-affectif, mis en place au cours de mon histoire personnelle que les associations déclenchées par l'affaire Paulette avaient réactivé.

Je crois qu'on doit pouvoir dire qu'à l'issue de tout cela quelque chose de Paulette s'est réuni à Monique. Et une nouvelle façon d'être, sans doute celle dont elle était enceinte pour moi, que l'on pourrait appeler Mon-ette, est née de ce banal conflit.

Jung appelle cela le troisième terme. Dans l'affaire Paulette, on peut dire (pour reprendre la terminologie des alchimistes) qu'il y a eu " extraction d'une partie de mon âme du corps " de Paulette par la reprise de la projection qui s'était faite sur elle de quelque chose de moi-même que je ne voulais pas reconnaître. Mais cette " extraction " n'a pu se faire que grâce aux affects qui m'ont saisie et par lesquels j'ai été impliquée, bouleversée et travaillée au corps. Ils m'ont fait faire l'expérience, de l'intérieur, de quelque chose qui, si on me l'avait expliqué, serait sans doute resté sans effet. "

Publié dans Prof

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article