"Conseils aux jeunes littérateurs", extraits
Texte complet : [Litteratura.com]
DES MÉTHODES DE COMPOSITION
Aujourd'hui, il faut produire beaucoup ; - il faut donc aller vite ; - il faut donc se hâter lentement ; il faut donc que tous les coups portent, et que pas une touche ne soit inutile.
Pour écrire vite, il faut avoir beaucoup pensé, - avoir trimballé un sujet avec soi, à la promenade, au bain, au restaurant, et presque chez sa maîtresse.
E. Delacroix me disait un jour : «L'art est une chose si idéale et si fugitive, que les outils ne sont jamais assez propres, ni les moyens assez expéditifs». Il en est de même de la littérature ; - je ne suis donc pas partisan de la rature ; elle trouble le miroir de la pensée.
Quelques-uns, et des plus distingués, et des plus consciencieux, - Édouard Ourliac, par exemple, - commencent par charger beaucoup de papier ; ils appellent cela couvrir leur toile. - Cette opération confuse a pour but de ne rien perdre. Puis, à chaque fois qu'ils recopient, ils élaguent et ébranchent. Le résultat fût-il excellent, c'est abuser de son temps et de son talent. Couvrir une toile n'est pas la charger de couleurs, c'est ébaucher en frottis, c'est disposer des masses en tons légers et transparents. - La toile doit être couverte - en esprit - au moment où l'écrivain prend la plume pour écrire le titre.
On dit que Balzac charge sa copie et ses épreuves d'une manière fantastique et désordonnée. Un roman passe dès lors par une série de genèses, où se disperse non seulement l'unité de la phrase, mais aussi de l'oeuvre. C'est sans doute cette mauvaise méthode qui donne souvent au style ce je ne sais quoi de diffus, de bousculé et de brouillon, - le seul défaut de ce grand historien.
DU TRAVAIL JOURNALIER ET DE L'INSPIRATION
L'orgie n'est plus la soeur de l'inspiration : nous avons cassé cette parenté adultère. L'énervation rapide et la faiblesse de quelques belles natures témoignent assez contre cet odieux préjugé.
Une nourriture très substantielle, mais régulière, est la seule chose nécessaire aux écrivains féconds. L'inspiration est décidément la soeur du travail journalier. Ces deux contraires ne s'excluent pas plus que tous les contraires qui constituent la nature. L'inspiration obéit, comme la faim, comme la digestion, comme le sommeil. Il y a sans doute dans l'esprit une espèce de mécanique céleste, dont il ne faut pas être honteux, mais tirer le parti le plus glorieux, comme les médecins de la mécanique du corps. Si l'on veut vivre dans une contemplation opiniâtre de l'oeuvre de demain, le travail journalier servira l'inspiration, - comme une écriture lisible sert à éclairer la pensée, et comme la pensée calme et puissante sert à écrire lisiblement ; car le temps des mauvaises écritures est passé.
DES MÉTHODES DE COMPOSITION
Aujourd'hui, il faut produire beaucoup ; - il faut donc aller vite ; - il faut donc se hâter lentement ; il faut donc que tous les coups portent, et que pas une touche ne soit inutile.
Pour écrire vite, il faut avoir beaucoup pensé, - avoir trimballé un sujet avec soi, à la promenade, au bain, au restaurant, et presque chez sa maîtresse.
E. Delacroix me disait un jour : «L'art est une chose si idéale et si fugitive, que les outils ne sont jamais assez propres, ni les moyens assez expéditifs». Il en est de même de la littérature ; - je ne suis donc pas partisan de la rature ; elle trouble le miroir de la pensée.
Quelques-uns, et des plus distingués, et des plus consciencieux, - Édouard Ourliac, par exemple, - commencent par charger beaucoup de papier ; ils appellent cela couvrir leur toile. - Cette opération confuse a pour but de ne rien perdre. Puis, à chaque fois qu'ils recopient, ils élaguent et ébranchent. Le résultat fût-il excellent, c'est abuser de son temps et de son talent. Couvrir une toile n'est pas la charger de couleurs, c'est ébaucher en frottis, c'est disposer des masses en tons légers et transparents. - La toile doit être couverte - en esprit - au moment où l'écrivain prend la plume pour écrire le titre.
On dit que Balzac charge sa copie et ses épreuves d'une manière fantastique et désordonnée. Un roman passe dès lors par une série de genèses, où se disperse non seulement l'unité de la phrase, mais aussi de l'oeuvre. C'est sans doute cette mauvaise méthode qui donne souvent au style ce je ne sais quoi de diffus, de bousculé et de brouillon, - le seul défaut de ce grand historien.
DU TRAVAIL JOURNALIER ET DE L'INSPIRATION
L'orgie n'est plus la soeur de l'inspiration : nous avons cassé cette parenté adultère. L'énervation rapide et la faiblesse de quelques belles natures témoignent assez contre cet odieux préjugé.
Une nourriture très substantielle, mais régulière, est la seule chose nécessaire aux écrivains féconds. L'inspiration est décidément la soeur du travail journalier. Ces deux contraires ne s'excluent pas plus que tous les contraires qui constituent la nature. L'inspiration obéit, comme la faim, comme la digestion, comme le sommeil. Il y a sans doute dans l'esprit une espèce de mécanique céleste, dont il ne faut pas être honteux, mais tirer le parti le plus glorieux, comme les médecins de la mécanique du corps. Si l'on veut vivre dans une contemplation opiniâtre de l'oeuvre de demain, le travail journalier servira l'inspiration, - comme une écriture lisible sert à éclairer la pensée, et comme la pensée calme et puissante sert à écrire lisiblement ; car le temps des mauvaises écritures est passé.